Contre l'irrationalisation de l'art.
Le point de départ de la pensée d'Adorno pourrait être que "tout ce qui concerne l'art ne va plus de soi, pas même son droit à l'existence". Selon lui, l'idéologie bourgeoise a récupéré l'art et l'a compris comme un facteur qui agit sur la réalité et sur ses fins en vue d'augmenter la production ; par exemple, pour la bourgeoisie, la sculpture d'un charbonnier dira plus de choses d'un point de vue social qu'une sculpture qui ne comporte aucune référence évidente à un héros social. Elle résout ainsi le problème d'un prolétariat grossissant en lui accordant un physique noble et de la beauté humaine.
La question ici soulevée révèle la nécessité de la critique esthétique, l'œuvre d'art enfermée dans son caractère énigmatique ne pouvant répondre seule : le caractère essentiellement ambigu de la réception d'une œuvre d'art ne met-elle pas en danger la vérité de l'art ? et de nos jours, le choc peut-il être considéré comme critère suffisant pour distinguer le kitsch - art politiquement instrumentalisé - et les produits de l'industrie culturelle de l'art véritable ?
La question ici soulevée révèle la nécessité de la critique esthétique, l'œuvre d'art enfermée dans son caractère énigmatique ne pouvant répondre seule : le caractère essentiellement ambigu de la réception d'une œuvre d'art ne met-elle pas en danger la vérité de l'art ? et de nos jours, le choc peut-il être considéré comme critère suffisant pour distinguer le kitsch - art politiquement instrumentalisé - et les produits de l'industrie culturelle de l'art véritable ?
I Les irrationalisation de l'art.
Horkheimer et Adorno entreprennent tout au long du XXème siècle un révision historique de la Raison et déchiffrent la vieille scission entre signe et image au sein du langage et l'opposition art/connaissance comme à l'origine de l'instrumentalisation de la raison. Les auteurs se proposent de dépasser ces dichotomies dans la théorie d'un concept emphatique de rationalité.
C'est à l'architecture du système kantien que l'on doit la distinction du vrai, du Bon et du Beau, et ainsi la justification philosophique de la scission art/connaissance. Ainsi, Kant exclut le jugement esthétique de la sphère cognitive et théorique : "le jugement esthétique ne contribue pas à la connaissance de ses objets".
La théorie esthétique d'Hegel est la première à dépasser Kant et à accorder à l'art un contenu de vérité, un caractère de connaissance, mais à deux conditions : que la théorie esthétique devienne une science nécessaire et que l'art cesse d'être conçu comme le domaine du subjectif. L'art rejoint ainsi la religion et la philosophie comme l'une des manifestations de la vérité ; l'art a pour objet l'Absolu, mais seulement dans son contenu, et non pas dans sa forme, ce qui le place comme inférieur par rapport à la pensée et la réflexion.
C'est à l'architecture du système kantien que l'on doit la distinction du vrai, du Bon et du Beau, et ainsi la justification philosophique de la scission art/connaissance. Ainsi, Kant exclut le jugement esthétique de la sphère cognitive et théorique : "le jugement esthétique ne contribue pas à la connaissance de ses objets".
La théorie esthétique d'Hegel est la première à dépasser Kant et à accorder à l'art un contenu de vérité, un caractère de connaissance, mais à deux conditions : que la théorie esthétique devienne une science nécessaire et que l'art cesse d'être conçu comme le domaine du subjectif. L'art rejoint ainsi la religion et la philosophie comme l'une des manifestations de la vérité ; l'art a pour objet l'Absolu, mais seulement dans son contenu, et non pas dans sa forme, ce qui le place comme inférieur par rapport à la pensée et la réflexion.
Pour Adorno et Horkheimer, c'est la conscience bourgeoise qui impose sa voie, "celle de l'obéissance et du travail" ; ce serait donc cette même conscience qui relèguerait l'art au purement intuitif dans un mouvement de désesthétisation de l'art avancée par l'industrie de la culture qui le transforme en marchandise.
II Artisticité et ratio artistique.
Adorno définit le concept d'artisticité comme "la collision incandescente entre la réalité contemplée et la subjectivité réflexive" en l'opposant au formalisme qui impose subjectivement des idées abstraites de beauté à un objet en partant d'une position préconçue de la pensée vis-à-vis de l'objectivité.
A partir du moment où Hegel avait pensé l'art comme une "position de la subjectivité par rapport à l'objectivité", il incombait à la critique esthétique l'élucidation du rapport sujet-objet à la base de chaque œuvre.
Pour restituer l'autonomie de l'art, la critique doit reconnaître le caractère historique du médium et de ses lois ; à partir de celles-ci l'on pourra déterminer deux critères de vérité ou de fausseté d'une œuvre : le niveau technique historiquement atteint et la composition concrète des différents éléments de l'œuvre. Après avoir reconnu l'objectivité du matériau, c'est au tour de l'artiste de perdre sa liberté et son statut de "génie" que l'esthétique idéaliste lui avait attribuée : sa tâche n'est plus la création, mais la réalisation concrète de ce que l'art exige de lui objectivement. Cette idée ne liquide pas le mouvement subjectif, mais au contraire appelle davantage du sujet tant elle rend l'art dialectique.
La construction d'une œuvre s'érige maintenant justement là où la subjectivité ne prétend plus dominer ; la construction signifie désormais la destruction des schémas contraignants le médium de l'extérieur. C'est ce qu'Adorno nomme le ratio-esthétique : cette volonté de différenciation face à l'extérieur oppressant. De même, l'expression n'a plus rien à voir avec la sentimentalisme affecté ou marchand mais se révèle être le dévoilement des potentiels du matériau par l'activité subjective.
A partir du moment où Hegel avait pensé l'art comme une "position de la subjectivité par rapport à l'objectivité", il incombait à la critique esthétique l'élucidation du rapport sujet-objet à la base de chaque œuvre.
Pour restituer l'autonomie de l'art, la critique doit reconnaître le caractère historique du médium et de ses lois ; à partir de celles-ci l'on pourra déterminer deux critères de vérité ou de fausseté d'une œuvre : le niveau technique historiquement atteint et la composition concrète des différents éléments de l'œuvre. Après avoir reconnu l'objectivité du matériau, c'est au tour de l'artiste de perdre sa liberté et son statut de "génie" que l'esthétique idéaliste lui avait attribuée : sa tâche n'est plus la création, mais la réalisation concrète de ce que l'art exige de lui objectivement. Cette idée ne liquide pas le mouvement subjectif, mais au contraire appelle davantage du sujet tant elle rend l'art dialectique.
La construction d'une œuvre s'érige maintenant justement là où la subjectivité ne prétend plus dominer ; la construction signifie désormais la destruction des schémas contraignants le médium de l'extérieur. C'est ce qu'Adorno nomme le ratio-esthétique : cette volonté de différenciation face à l'extérieur oppressant. De même, l'expression n'a plus rien à voir avec la sentimentalisme affecté ou marchand mais se révèle être le dévoilement des potentiels du matériau par l'activité subjective.
III Artisticité, faiblesse et domination artistique.
L'idée d'artisticité a été définie par Adorno comme un comportement différencié du sujet à l'objet. Ce faisant, il a toujours refusé de distinguer la "musique sérieuse" de la "musique légère", distinction idéologique selon lui. Le seul critère, à la limite, pour séparer les deux ne serait pas un critère commercial mais un critère cognitif : l'art vrai reste celui qui prétend apporter de la connaissance, celui qui accomplit une position différenciée du sujet vis-à-vis de son objet.
En étudiant la musique populaire, Adorno constate que la tonalité écrase le détail, qu'elle s'impose comme un schéma extérieur sur un détail contingent. Et c'st précisément cette contingence du détail qui caractérise la pop music, mais aussi le jazz. En effet la modernité du jazz ne se trouve pas dans son rythme ni dans le son nouveau qu'il apport ou son lyrisme ; non plus d'un ajout de subjectivité, mais de sa faiblesse, notamment d'un point de vue social.
En étudiant la musique populaire, Adorno constate que la tonalité écrase le détail, qu'elle s'impose comme un schéma extérieur sur un détail contingent. Et c'st précisément cette contingence du détail qui caractérise la pop music, mais aussi le jazz. En effet la modernité du jazz ne se trouve pas dans son rythme ni dans le son nouveau qu'il apport ou son lyrisme ; non plus d'un ajout de subjectivité, mais de sa faiblesse, notamment d'un point de vue social.
En se transformant en des normes apriorique par la rationalisation du matériau, les découvertes des artistes risquent de sortir de l'art concret pour tomber dans le formalisme : la volonté de différenciation se mue ainsi en pure "domination" de l'objet.
Du point de vue de la réception, Adorno a étudié la production musicale selon qu'elle se subordonne ou non à un récepteur standardisé : la fétichisation du récepteur se déduit de la fétichisation de la production, celle-ci tendant à transformer en marchandise l'art en renonçant à la connaissance. Le bredouillement compositif correspond à l'infantilisme de la réception. Les récepteurs standardisés alternent entre l'oubli et la reconnaissance subite d'une musique qui est le manque absolu de langage ; la capacité de concentration est paralysée, la réception atomistique et dissociative : le récepteur ne reconnait que les parties les plus voyantes et les mieux consommables.
Du point de vue de la réception, Adorno a étudié la production musicale selon qu'elle se subordonne ou non à un récepteur standardisé : la fétichisation du récepteur se déduit de la fétichisation de la production, celle-ci tendant à transformer en marchandise l'art en renonçant à la connaissance. Le bredouillement compositif correspond à l'infantilisme de la réception. Les récepteurs standardisés alternent entre l'oubli et la reconnaissance subite d'une musique qui est le manque absolu de langage ; la capacité de concentration est paralysée, la réception atomistique et dissociative : le récepteur ne reconnait que les parties les plus voyantes et les mieux consommables.
IV Esthétiques négatives, affirmatives et communicationnelles.
Les esthétiques négatives, affirmatives et communicationnelles constituent trois stades successifs dans la conceptualisation des rapports entre l'art et la société qui se fonde sur l'idée marxiste de l'art comme un moyen pour la transformation sociale et un véhicule de la vie politique.
Adorno pense l'art comme "un lieutenant" qui, dans un deuxième temps, devra se transformer en "anti-art" : lieutenant d'une contre-image de la société en place qui ne peut conserver son utopie qu'en devenant son contraire, en anti-art, et par la transformation en absurde pour reproduire la souffrance de l'absurde social.
Adorno pense l'art comme "un lieutenant" qui, dans un deuxième temps, devra se transformer en "anti-art" : lieutenant d'une contre-image de la société en place qui ne peut conserver son utopie qu'en devenant son contraire, en anti-art, et par la transformation en absurde pour reproduire la souffrance de l'absurde social.
De même, selon Marcuse, l'art peut apporter vérité et connaissance tant qu'il consiste à la configuration autonome d'un monde plus vrai que le réel, c'est-à-dire qui ne serait plus "ensorcelé" sous la valeur d'échange. L'art pourrait entraîner la subversion de l'expérience, la transformation de la perception en opposant "l'ordre de la sensualité contre celui de la raison", point qui l'oppose à Adorno.
De son côté, Wellmer réoriente la pensée d'Adorno vers une esthétique communicationnelle où l'art est vu dans sa relation "fonctionnelle" avec l'émancipation.
De son côté, Wellmer réoriente la pensée d'Adorno vers une esthétique communicationnelle où l'art est vu dans sa relation "fonctionnelle" avec l'émancipation.
in Art, culture et politique, article de Vicente Gomez
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire